A-t-on le droit de perdre ?
Des supporters qui exultent, des bras levés, des célébrations, des embrassades, des cris de joie… la victoire a bien des visages. Dans les publicités des équipementiers, les promotions des compétitions, les génériques des retransmissions, ces scènes de liesse sont étroitement liées à la représentation du sport, tant et si bien qu’on serait porté à croire que gagner est une fin en soi et qu’une expérience sportive dont on revient sans trophée est un échec. « Seule la victoire est belle », entend-on souvent de la bouche d’un compétiteur qui peine à relativiser un revers devant les micros des journalistes. Dans notre société où s’est imposé le culte de la victoire, ne peut-on vraiment pas donner de sens favorable à la défaite ?

Perdre pour mieux gagner ?
Une maxime qu’on rencontre en permanence dans les pages sport affirme qu’on apprendrait plus de ses défaites que de ses victoires. On aime se souvenir que les conditions qui ont permis le triomphe des Bleus lors de la Coupe du monde 1998 sont nées de la terrible élimination contre la Bulgarie, cinq ans plus tôt. Changement de sélectionneur, adoption d’une autre philosophie de jeu, nouvelle génération de joueurs… une page a été tournée, tout est reparti de zéro. Ici, la défaite est interprétée comme une étape formatrice, parfois nécessaire voire inévitable, vers les victoires du futur. On fait table rase de ce qui n’a pas été suffisamment performant pour concevoir un nouveau projet censé l’être davantage. La défaite n’aurait de vertu que des enseignements qu’on en tire pour l’avenir. Que penser alors des insuccès répétés, des finales sans lendemain, des podiums ratés de peu ?
Des perdants magnifiques
Le premier était surnommé « Poupou » ; les seconds, « les Verts ». Raymond Poulidor et les joueurs de l’AS Saint-Étienne sont des icônes du sport tricolore. Ils ont en commun d’avoir un palmarès remarquable : Poulidor compte 189 victoires en tant que coureur professionnel ; les Stéphanois ont régné sur le football français des années 1970, et à l’heure actuelle, leur club détient encore le record de titres en Ligue 1. Pourtant, le public se souvient d’eux au moins autant pour leurs fameuses désillusions que pour leurs plus belles conquêtes. Chute, méforme, gaffe tactique : si le maillot jaune du Tour de France a toujours échappé à « Poupou », l’éternel second, personne ne pouvait rivaliser avec lui à l’applaudimètre. Quant aux « Verts », leur épopée en Champions League a buté sur les poteaux carrés du Hampden Park. Le talent était au rendez-vous, pas la réussite. Quelle consolation peut tirer le vaincu quand le sort lui a été défavorable ? L’amour du public, quand celui-ci sait apprécier à la fois le mérite de ses favoris et reconnaître la supériorité de ses adversaires. La beauté d’un effort, le tragique sont générateurs de popularité.
Quand le plaisir de jouer dépasse l’impératif de gagner
Même perdant, on peut donc être aimé. à l’opposé, on peut gagner et être plus malheureux que l’adversaire qu’on vient de battre. Témoin, la légende du tennis, John McEnroe : « Tout tournait autour du fait que je devais gagner, et durant quatre ans j’ai été le plus grand gagneur du tennis.[…] Si je suis le meilleur joueur de tennis du monde, se demandait-il à l’époque, pourquoi suis-je si vide à l’intérieur ? » Si la victoire apparaît comme l’objectif de tous, elle n’est pas une fin en soi. La compétition est un cycle ; on ne peut rester éternellement le meilleur. C’est ce qu’ont réalisé bien des champions. Une fois leur apogée derrière eux, certains décrochent pour de bon ; d’autres mettent à profit leur expérience pour prendre du recul et renouer avec la passion de leurs débuts. La pression des résultats cèdent la place au plaisir de la pratique de leur sport de toujours. Émerge alors de ce constat, la force première d’un compétiteur : vouloir la victoire, accepter la défaite.